top of page

La liberté de la presse est-elle menacée ?


Ce phénomène appelé "la concentration des médias" remet en question un principe démocratique fondamentale : le pluralisme, comme exprimé dans l'article 4, alinéa 3 de la constitution:

"La loi garantit les expressions pluralistes des opinions, et la participation équitable des partis et groupement politiques à la vie démocratique de la nation."

Il faut cependant bien différencier les termes de média et de presse. En effet, comme définit par le dictionnaire Larousse, la presse désigne "l'ensemble des journaux et des revues périodiques". Alors qu'un média désigne un "procédé permettant la distribution, la diffusion ou la communication d'œuvres, de documents ou de messages sonores ou audiovisuels (presse, cinéma, affiche, radiodiffusion, télédiffusion, vidéographie, télédistribution, télématique, télécommunication)." Dans cet article nous allons principalement évoquer la presse.


Faut-il craindre un risque pour la liberté d'expression et la liberté de la presse en France ? Pourquoi les milliardaires investissent leur argent dans les médias ? Quelles sont les conséquences sur nos rapports à l'information ?


Bernard Arnault, Xavier Niel, Vincent Bolloré… Qui sont les milliardaires des médias français ? (sudouest.fr)

Comme vous pouvez le voir sur l'image ci-dessus, une très grande majorité des médias français sont la possession de milliardaires dont leur enrichissement ne s'est pas fait dans l'espace médiatique. Pour preuve, les deux plus grands groupes de télévisions (TF1 et CANAL+) sont possédés par deux très importants actionnaires : la famille Bouygues et Vincent Bolloré. C'est de même pour la presse écrite où des titres de presses comme Le Monde ou Le Parisien sont possédés respectivement par Xavier Niel et Bernard Arnault. En fait, de nombreux milliardaires investissent dans les médias, provoquant un monopole des milliardaires.


Mais pourquoi les "ultra riches" investissent leur argent dans le secteur des médias ?


Dans une commission d'enquête sénatoriale sur la "concentration des médias" parut en 2022, Vincent Bolloré affirme que "c'est uniquement un projet économique", propos affirmés par le président-directeur général de LVMH : Bernard Arnault, qui explique que l'objectif de ces actionnaires privés "est de faire en sorte que ces entreprises [les médias] réussissent à redevenir rentables." Il le faut bien car la presse est rentable que à de très rares exceptions. Assurément, aujourd'hui la presse française vit essentiellement grâce aux subventions de l'état. En 2022, le ministère de la culture a versé 110.4 millions d'euros d'aides directes (28 M€ au pluralisme, 51 M€ au transport et à la diffusion et 31.4 M€ d'aides à l'investissement), a ajouter à ces aides, celles indirectes car la presse bénéficie par exemple en France d'un taux de TVA "super réduit" de 2,1%.


Source : La Lettre et Ministère de la culture.

Ces subventions du ministère de la culture interviennent car la liberté d'expression et la liberté d'opinion est un principe démocratique fondamentale comme déclaré dans l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

"La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi."

protégé également par l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH), de 1948 :

"Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit."
Caricature relative à la loi sur la presse de 1850 par Cham (1819-1879), publiée par le journal satirique Le Charivari (3 avril 1850). Source : Wikipédia.

Mais alors dans quel but ces milliardaires investissent leurs argents dans la presse ?


Comme le déclare le sénat dans sa synthèse de la commission d'enquête sénatoriale, les milliardaires "présentent leurs investissements dans les médias comme une volonté de leur venir en aide quand ils sont menacés," thèse qui pourrait être accréditée puis que le chiffre d'affaires réalisé par les groupes tel que LVMH qui investissent dans la presse ont largement la capacité de le faire, sans mettre en danger leurs ressources économiques. Cependant, toujours selon la commission d'enquête sénatoriale : "cette ambition affichée d’intérêt général résiste assez difficilement à l’examen de la nature et du montant des investissements réalisés et peut interroger sur les ambitions assignées à ces achats." En effet, selon Patrick Eveno, interrogé par le journal Ouest-France (à lire ici), "Leurs motivations sont variées", "Certains milliardaires volent au secours d'un média en difficulté, sans changer sa ligne éditoriale" comme le démontre l'exemple de Xavier Niel qui est devenu l'un des principaux actionnaires du Monde mais qui "n'intervient pas sur le projet éditorial. On peut y voir une forme de mécénat."


Xavier Niel, patron de Iliad et Le Monde, en 2014.

Mais ce n'est surement pas la seule raison de leurs investissements, ainsi être propriétaire de média permet également de s'assurer de ce qui est dévoilé sur vous. En 2015, la couverture du Parisien du film "Merci Patron" qui critiquait les méthodes du patron du LVMH (propriétaire du Parisien) a été censuré. Même cas avec la chaine télévisée Canal+ où le groupe de Vincent Bolloré a déprogrammé un documentaire de spécial investigation qui mettait en cause le Crédit Mutuel (dont le patron est un ami de Monsieur Bolloré) dans une affaire d'évasion fiscale.


Affiche du film "Merci Patron".

Quels impacts cela a-t-il sur nos rapports à l'information ? Faut craindre une perte de la liberté de la presse en France.


Le 10 Novembre 2022, nous avons eu une séquence choc entre le député Louis Boyard et l'animateur de "TPMP" sur C8. Le député LFI (La France Insoumise), invité sur le plateau de "TPMP", a critiqué le propriétaire de la Chaine C8, Vincent Bolloré. C'est alors que l'animateur Cyril Hanouna a lancé de nombreuses d'insultes envers son invité : "abruti", "tocard", "t'es une merde"... le rapporteur du Conseil d'Etat recommande de maintenir l'amande à hauteur de 3.5 millions d'euros envers le groupe Canal+. Même si on connait l'étroite relation entre Hanouna et Bolloré, cette affaire nous montre l'influence qu'ont les patrons de presse sur leurs journalistes/animateurs.


En plus de la censure que peuvent subir certaines rédactions par leurs actionnaires, Jean-Loup Adénor, rédacteur en chef adjoint à Charlie Hebdo, nous affirme que "c'est les journalistes eux-mêmes qui vont se censurer" car "c'est un métier qui est très précaire" avec souvent "des contrats de courtes durées", mettant donc en lumière la présence d'auto-censure chez les journalistes.

Néanmoins de nombreuses règles existent pour protéger l'indépendance des journalistes et favoriser la confiance des consommateurs de presse, alors qu'en 2022, "62% des sondés estiment que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique ni des intérêts publics", selon un sondage La Croix/Kantar public-Onepoint.

Source : commission d'enquête sénatoriale.

En effet la liberté de la presse est garantie à l'échelle française et européenne (comme dit précédemment) notamment par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH). De plus, les journalistes bénéficient des clauses de cession et de conscience leur permettant notamment de démissionner si il y a un changement de ligne éditorial, sans perdre leurs indemnités et leurs droits de chômage. Enfin, ils existent des sociétés de journalistes dans les rédactions pour garantir leur indépendance journalistique.

Source : Reporters sans frontières, Classement mondiale de la liberté de la presse, Statista.

Oui la liberté de la presse est garantit d'un point de vue juridique et politique, nous rassurant donc sur nos rapports à l'information et sur l'indépendance de ceux qui nous informent. Cependant, depuis ces dernières années le phénomène de concentration dans les médias et plus spécifiquement dans la presse remettent en doute la liberté d'expression et d'opinion. La détention d'un groupe restreint (celui des ultra riches) de la presse menace effectivement l'indépendance des journalistes à s'exprimer librement sans craindre à perdre leur emploi. C'est donc une menace directe à la diversité du débat : au pluralisme.


Rédacteur : Esteban COLIN

Commentaires

Noté 0 étoile sur 5.
Pas encore de note

Ajouter une note
bottom of page