Tout comprendre sur la loi Duplomb.
- E. Colin
- 26 juil.
- 6 min de lecture
La « loi Duplomb » — ou devrions-nous dire « loi Duplomb-Menonville » du nom de ces deux co-auteurs : Laurent Duplomb et Franck Menonville (sénateurs Les Républicains et Union Centriste) — a fait face à une importante opposition.

I. Une loi qui bouscule.
Cette loi divise de nombreux acteurs, mais que contient-elle réellement ?
Tout d'abord, il faut comprendre que cette loi, comme l'indique son titre : « loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur », tente de rééquilibrer le niveau des réglementations françaises avec celui des réglementations européennes. En effet, en réponse à la vive mobilisation des agriculteurs à l'hiver 2024, cette loi assouplit les réglementations pour rendre plus compétitif les agriculteurs français face aux agriculteurs européens.
Pour ce faire, le texte tient à réautoriser l'acétamipride, un néonicotinoïde, interdit en France depuis 2018 mais autorisé dans les 26 autres pays européens jusqu'en 2033. Cependant, les répercussions néfastes de ce produit sur la biodiversité, comme les abeilles, semblent nombreuses et son impact sur la santé humaine fait l'objet de nombreux débats et sèment encore et toujours le doute. Ce produit phytosanitaire est principalement utilisé dans les cultures de betteraves sucrières ou de noisettes. Néanmoins, il est important de souligner que ce produit ne pourra être utilisé seulement en moyen de dernier recours - si aucune alternative n'est trouvée - et par dérogation. Une dérogation donnée par l'Anses (l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) qui reste, après un travail en commission mixte paritaire, indépendante.

Ensuite, cette loi veut faciliter l'implantation de mégabassines, qui sont des retenues d'eau utilisées pour l'irrigation des cultures. Néanmoins, de nombreuses voix remettent en cause ces ouvrages qui pompent dans les nappes phréatiques ou dans les cours d'eau pour un usage purement agricole.

Enfin, cette loi favorise l'élevage industriel en assouplissant les seuils d'emplacements d'animaux. Concrètement, cette loi permet de doubler (de 40 000 à 85 000) les emplacements pour les volailles, de passer de 2 000 à 3 000 animaux pour l'élevage de parc (élevées pour la viande) et de 750 à 900 pour les truies destinées à la reproduction. De nombreuses ONG et de nombreux scientifiques s'inquiètent d'une menace pour le bien-être animal et la biodiversité.
II. Une opposition qui s'organise.
En moins de 24 heures, une pétition lancée par une jeune étudiante contre la loi Duplomb, a recueilli le seuil des 500 000 signatures. Cela permet à la conférence des présidents de l'Assemblée nationale, composée de la présidente de l'Assemblée et des présidents des groupes parlementaires — si elle le souhaite — d'organiser un débat en séance publique autour de cette pétition. Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale, s'est dite « favorable » à l'ouverture d'un débat, tout en indiquant que celui-ci ne remettra pas en cause la loi votée.

Des groupes politiques de gauche ont également déposé un recours au Conseil constitutionnel — qui est le seul à pouvoir abroger la promulgation de la loi Duplomb avec le Président de la République — jugeant que cette loi contrevient à deux principes constitutionnels : le principe de précaution et le principe de protection de l'environnement.
Selon l'article L110-1 du code de l'environnement :
« Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable. »
Toujours, selon l'article L110-1 du code de l'environnement :
« Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. »
De nombreuses voix dans l'opposition appellent également le président de la République à ne pas promulguer la loi et à la faire revoter. En effet, les forces politiques de gauche considèrent que la loi a été votée sans la tenue de débats puis que celle-ci a fait l'objet d'une motion de rejet (de la part des défenseurs de la loi), ce qui a permis d'envoyer le texte immédiatement en commission mixte paritaire, et donc, de ne pas revenir sur les plus de 2 000 amendements déposés par les forces politiques de gauche.
Selon des propos rapportés par la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas :
« [Emmanuel Macron] a rappelé que notre action politique, quelle qu'elle soit, y compris sur ces sujets agricoles, doit être notamment guidée par la science et que nous devons en même temps défendre nos agriculteurs [pour] une juste concurrence. »
Toujours selon les propos de la porte-parole du gouvernement, le président tient à « respecter le temps institutionnel ». En effet, le Conseil constitutionnel doit trancher, « a priori » d'ici le 7 août, sur le recours déposé par les forces politiques de gauche (voir ci-dessus).

III. Un paysage politique et syndicaliste entrecoupé.
Si de nombreux acteurs montrent et affirment leur opposition à cette loi, ce texte, initié par les sénateurs Laurent Duplomb et Franck Menonville, connaît de nombreux soutiens. Tout d'abord, de nombreux politiques orientés à droite comme le Rassemblement National (et ses alliés) et Les Républicains, mais également par le camp central (Ensemble, Horizons, MoDem..) même s'il est important de noter que tous n'ont pas voté en faveur de cette loi. En effet, près d'un tiers (environ 28%) des députés du bloc central ont voté contre, se sont abstenus ou n'ont pas voté.

Il est également important de noter que cette loi est soutenue par les principaux syndicats agricoles comme la FNSEA et la Coordination rurale. Le premier affirme notamment, au sujet de la loi Duplomb : « Voici enfin le moteur législatif qu’il nous fallait ». Néanmoins, la confédération paysanne, autre syndicat agricole marqué plus à gauche, s'oppose à la loi en expliquant « [qu'il] est faux de dire que cette proposition de loi répond aux attentes du « monde agricole ». Il est au service d'un système agro-industriel qui est déjà responsable de la disparition de centaines de milliers de paysan·nes et de fermes en France ». De plus, des associations comme la Ligue contre le cancer s'opposent également à cette loi, en affirmant « [qu'] elle met en péril la santé des générations futures ».
Vous l'aurez compris, ce texte a remué la politique, les syndicats français mais aussi les médias ou encore les associations. Même s'il est peu probable que la pétition puisse remettre en cause, à très court terme, la loi des deux sénateurs. La mobilisation de nombreuses personnes en opposition à ce texte amène tout de même un doute sur le futur de cette loi qui pourrait bousculer le modèle agricole français. Il va falloir patienter, rendez-vous le 7 août — si tout ce passe bien — pour connaître la réponse du conseil constitutionnel.
Journaliste : E. COLIN.
Sources :
https://reporterre.net/Loi-Duplomb-adoption-d-un-texte-funeste-pour-l-environnement
https://www.vie-publique.fr/loi/297070-proposition-de-loi-duplomp-agriculture-pesticides-bassines
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